Grimpeurs et grimpeuses occasionnel(les) ou confirmé(es) (hors clubs/cours privé avec un professionnel), cet article est fait pour vous afin de faire un tour d’horizon sur votre responsabilité civile personnelle dans le cadre de la pratique de l’escalade.
Si vous souhaitez savoir comment être indemnisé après un accident d'escalade, vous pouvez vous cliquer ici.
Ces questions ne peuvent plus être ignorées sous prétexte que seules les règles éthiques de ce merveilleux sport, au combien précieuses et qu’il nous faut conserver, permettraient de limiter la « casse ».
En effet, la démocratisation de la pratique de l’escalade et la crise du « COVID » - qui a fait redécouvrir les activités de plein air aux Français – va nécessairement engendrer plus de sinistre et donc plus de procès en responsabilité.
« Qui dit pratique de masse dit risque de dommage massif ; et la masse se résout rarement à subir la fatalité ».
Escalade et Droit, Sébastien Milleville, maître de conférences en droit privé, université Grenoble-Alpes
1. L’éternelle chasse au responsable
Faut-il considérer qu’en tant que sport ayant un risque inhérent dans sa pratique, la recherche d’un responsable est vaine ?
Ou bien faut-il considérer que le droit de la responsabilité ayant horreur du vide - la machinisation du monde moderne avait poussé à la création une responsabilité du fait des choses - la chasse au responsable est inévitable ?
Cet article n'a pas la prétention de mettre fin à ce débat doctrinal et même philosophique mais permettra aux pratiquants d'y voir un peu plus clair car derrière chaque accident il y a une victime et in fine, elle souhaitera obtenir réparation.
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Lorsque vous escaladez une falaise, vous êtes soumis au régime de responsabilité civile délictuelle pour faute prouvée ou de la responsabilité du fait des choses.
Qui est le responsable ? Le partenaire ? Le professionnel ? Celui qui a équipé la voie ? L’organisateur de l’activité ? L’équipementier ? Le propriétaire de la falaise ? L’éditeur d’un topo erroné ?
Avoir autant d’acteurs potentiellement responsables peut donner le vertige et un avocat pourra vous aider à établir la chaine de causalité (directe !), condition essentielle de l’indemnisation.
"A l’instar de la sécurité aérienne, les règles de l'escalade s’adaptent en effet au gré des accidents répertoriés."
Une autre condition est l’existence d’une faute commise par le responsable. Il sera admis que cette faute sera appréciée au regard des règles communes de sécurités adoptées et promues par la Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade (FFME), règles qui sont d’ailleurs en constante évolution à l'instar de la sécurité aérienne.
Néanmoins, la faute n’est pas requise avec le régime de responsabilité du fait des choses.
La problématique ici sous-jacente, vous l'aurez deviné est celle de la chute de pierres.
Pour l'heure, les juridictions se refusent à admettre que le pratiquant soit le gardien de la pierre au moment de sa chute.
Par exemple, la Cour de cassation en 2003 avait pu considérer que l’alpiniste qui fait rouler une pierre n’en acquiert pas la garde car il « ne peut raisonnablement pas diriger cette dernière », de sorte que l’alpiniste ne pouvait voir sa responsabilité être engagée sur ce fondement juridique.
Mais, il n’en demeure pas moins que si celle-ci est tombée par sa propre négligence, la responsabilité pour faute sera susceptible d’être engagée.
Mais alors, le propriétaire des lieux, et donc de la pierre en question n’est-il pas également responsable ?
Les propriétaires signent souvent les fameuses conventions dont l’effet est de transférer la garde de la falaise à une entité autre (souvent la FFME).
Cette convention consiste à mettre à sa charge l’aménagement et l’entretien du site, et à faire peser sur celle-ci la responsabilité du fait des choses en cas d’accident.
Après avoir été condamnée en première instance puis en cassation, la FFME a décidé de dénoncer ces conventions car les conséquences financières étaient pour elle devenues désastreuses.
Pour en savoir plus sur le déconventionnèrent par la FFME
2. Quand est-il des causes d’exonération de responsabilité ?
Au-delà du triptyque classique des causes d’exonération que sont la force majeure, le fait du tiers et la faute de la victime, l’acceptation du risque est depuis quelques années au cœur du débat.
Pourtant, la plus haute juridiction s’est toujours refusée à appliquer à l’escalade la notion d’acceptation du risque.
C’est la raison pour laquelle la FFME a mené une campagne de lobbying pour qu’un projet législatif vise à introduire cette notion de risque accepté. Si initialement, le texte avait été adopté, il a néanmoins été censuré par le Conseil constitutionnel le considérant comme cavalier législatif. Pour résumer, le Conseil considérait que cet amendement n’avait rien à faire dans un texte plus global et était donc hors sujet (en ce sens, voir l'article 45 de la Constitution de 1958).
Le 17 décembre 2021, le législateur français est revenu à la charge pour introduire dans le droit positif le texte suivant :
« le gardien de l’espace naturel dans lequel s’exerce un sport de nature n’est pas responsable des dommages causés à un pratiquant sur le fondement de l’article 1242 du code civil lorsque ceux-ci résultent de la réalisation d’un risque normal et raisonnablement prévisible, inhérent à la pratique sportive concernée ».
Le lecteur attentif remarquera que si le texte est adopté en l’état, les juristes et les avocats auront toujours une marge de manœuvre quant à l’appréciation de la normalité du risque et de la prévisibilité raisonnable de sa réalisation.
Affaire à suivre donc...
Quoiqu'il en soit, loin d'avoir épuisé le contentieux, cette loi aura peut-être le mérite de rassurer la communauté et donc de sauver la pratique de ce sport en falaise !
MAJ : 01/03/2022:
La loi « falaise » du 21 février 2022 a été publiée au journal officiel et précise désormais que :
« Le gardien de l’espace naturel dans lequel s’exerce un sport de nature n’est pas responsable des dommages causés à un pratiquant, (...) lorsque ceux-ci résultent de la réalisation d’un risque normal et raisonnablement prévisible inhérent à la pratique sportive considérée. »
Pour plus d'informations à ce sujet n'hésitez pas à me contacter !
Maître Jérémie OUSTRIC
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